« Pour une économie durable, plutôt que de couper à la hache les dépenses publiques, instaurons une fiscalité écologique redistributive et adaptons notre appareil productif aux besoins et enjeux de demain »
Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Chers collègues,
En vous entendant parler à l'instant, Messieurs les Ministres, de votre "sérieux" budgétaire, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que si l'ampleur des gels de crédits s'annonce effectivement assez sérieuse, il est difficile d'en dire autant des prévisions qui la sous-tendent.
Vos hypothèses de croissance ont déjà été maintes fois auscultées : 0,1% cette année, 1,2% l'année prochaine et 2% à partir de 2015. Des institutions aussi différentes que le Haut Conseil des Finances Publiques, le FMI ou l'OFCE s'accordent à considérer que ces prévisions sont clairement affectées d'un biais trop optimiste.
Vous arguez du fait, Messieurs les Ministres, que vos prévisions de croissance sont calées sur celles de la Commission européenne... Certes, mais les scénarios de la Commission pour la réduction du déficit ne sont pas les mêmes, loin s'en faut : pour donner 1,2% de croissance en 2014, elle se fonde sur un déficit à 3,9%, soit un point de plus que le Gouvernement, bien au-delà de la barre convoitée des 3% !
En matière de déficit précisément - et peut-être vous en souvenez-vous, Monsieur le Ministre de l'Economie - il y a 6 mois, alors que vous affirmiez avec force que le déficit serait à 3% en 2013, je vous avais parié, de cette même tribune, que nous nous retrouverions au printemps pour constater ensemble qu'il n'en serait rien... Dont acte.
Ce programme de stabilité entérine donc un nouvel étalement de la trajectoire de réduction du déficit et cela, nous ne pouvons d'ailleurs que nous en réjouir. Les écologistes n'ont jamais considéré le recours désordonné à l'endettement comme un modèle viable mais pour autant, la nécessaire résorption du stock de dette, que nous avons hérité de décennies de capitalisme financier, ne doit être envisagée qu'avec prudence, sans assommer les peuples ni obérer l'économie .
Je vous accorderai sans peine que la France n'est pas la Grèce, qui connaît depuis 2007, dans son chaos social, une explosion des suicides, des meurtres et une dégradation de la santé publique. Toutefois, le programme de stabilité n'en promet pas moins pour la prochaine loi de finances 14 milliards de mesures d'économies dont je ne sais s'il convient de les qualifier de sérieuses ou d'austères...
1,5 milliards seront retranchés de la dotation des collectivités. Les dépenses de l'Etat seront amputées de 7,5 milliards, sans que l'on sache encore très bien quels seront les administrations et les services publics qui seront les plus impactés. Enfin, 5 milliards seront soustraits aux dépenses sociales, marquant notamment le recul de la sécurité sociale au profit des assurances complémentaires, retraites et santé.
Il nous semble d'autant moins urgent de risquer ainsi le déclin économique et social, Messieurs les Ministres, que le dogme de l'austérité, plus que jamais, s’effrite et se fissure. L'un de ses fondements scientifiques, qui postulait qu'un niveau de dette supérieur à 90% entraînait un effondrement mécanique de la croissance, vient d'être démenti. Les auteurs de cette théorie, largement diffusée et utilisée aux plus hauts niveaux, ont reconnu des erreurs invalidant leurs résultats.
De plus en plus de pays, en Europe du Sud mais aussi du Nord, sans oublier les Etats-Unis, réclament des trajectoires de consolidation budgétaire beaucoup plus douces - même le FMI s'est exprimé en ce sens. En France, plusieurs ministres ont récemment exprimé leur souhait d'une inflexion de la ligne économique que vous défendez aujourd'hui, Messieurs les Ministres, devant le Sénat.
Alors pourquoi s'entêter ? Pourquoi persister à affirmer chaque année ou chaque semestre une volonté d'airain de réduire le déficit, une volonté que l'on sait d'emblée sapée par les prévisions biaisées qui la sous-tendent, une volonté dont les versions précédentes n'ont pas trouvé à s'appliquer, une volonté dont le seul but consiste à gagner le droit de demander à un commissaire européen si l'on peut l'abandonner en chemin : c'est tout simplement absurde ! Le comble de cette vaste mascarade étant qu'elle vise à assurer notre "crédibilité", à rassurer les marchés et la Commission...
J'ignore si le commissaire Olli Rehn est rassuré mais il semblerait bien que les Français, qui subissent un chômage endémique, ne le soient pas. Même le Président Barroso explique qu'une politique de rigueur, pour être couronnée de succès, doit "recueillir un minimum de soutien politique et social". Force est de constater aujourd'hui que ce n'est pas le cas.
Alors, austérité ? rigueur ? sérieux ? Au fond, peu importe la sémantique, les euphémismes et la communication... Il est simplement urgent de rompre avec cette logique, déjà anachronique mais toujours délétère, issue de ce péché originel du quinquennat que fut la ratification du TSCG.
Pour stopper l'hémorragie, rien ne pourra se substituer à davantage d'intégration et d'harmonisation européennes, à la lutte contre l'évasion fiscale, à la mutualisation des dettes, à l'assouplissement de la politique monétaire... Face à une Allemagne retranchée, qui doit comprendre qu'elle ne pourra de toute façon pas prospérer dans une Europe éteinte, la voix de la France est attendue et espérée.
Mais la France peut aussi agir seule. Sur l'évasion fiscale, et sans qu'il soit besoin d'attendre l'opportunité de nouveaux scandales, de nombreuses mesures (comme une loi FATCA) peuvent être mises en œuvre pour faire bouger les lignes européennes, ainsi que nous l'avons fait, Monsieur le Ministre de l'Economie, pour la transparence bancaire, sur laquelle nous avons travaillé de concert.
Il n'est pas non plus trop tard pour mettre sur pied la grande réforme fiscale qu'on nous avait promise ; pour dégager des économies d'échelle par une réforme territoriale ambitieuse ; pour arrêter les projets d'aménagement pharaoniques lorsqu'ils sont aussi onéreux que nuisibles ; ni pour mettre au jour des marges de manœuvre budgétaires sur la force de frappe nucléaire aérienne (un pur gadget dépourvu d'enjeu stratégique) - et tout cela, Messieurs les Ministres, avant de commencer à rogner les prestations sociales...
Pour préparer une économie durable, plutôt que de couper à la hache dans les dépenses publiques, il serait indispensable d'instaurer enfin une véritable fiscalité écologique redistributive et d'adapter notre appareil productif et industriel aux besoins et enjeux de demain, notamment énergétiques. Par exemple en conditionnant cette formidable niche fiscale d'un point de PIB qu'est le CICE...
En ces temps incertains, parfois troublés, la gauche au pouvoir est une chance. Une chance pour la concorde civile, une chance pour les plus fragiles, une chance pour notre environnement. Nous ne pouvons pas laisser la gauche se morfondre dans l'illusion défraîchie des annonces entendues. Nous ne pouvons pas laisser la gauche errer dans les décombres d'un modèle libéral-productiviste moribond mais toujours dangereux. Nous ne pouvons pas laisser la gauche s'engourdir dans l'exercice gestionnaire du pouvoir et oublier ceux qui souffrent. La gauche au pouvoir est une chance mais à la condition qu'elle soit une audace - une audace écologique et une audace sociale.
Messieurs les Ministres, mes chers collègues, le Gouvernement n'a pas jugé indispensable de sanctionner notre débat par un vote mais vous aurez compris que si le groupe écologiste avait pu s'exprimer ainsi, le vote n'aurait pas été favorable.