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« L’ancienne Politique commune de la pêche a échoué. »

 

Débat sur la politique européenne de la pêche 

– André Gattolin – 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Chers Collègues,

Le débat qui nous occupe aujourd’hui soulève des enjeux considérables, tant sur le plan social que sur le plan environnemental.

Ceci explique sans doute qu’il s’apparente, si vous me permettez cette expression, à un véritable serpent de mer ou à je ne sais quelle créature mythique qu’on ne saurait comment capturer...

Pour bien connaître Emma Bonino qui fut un temps en charge du dossier à la Commission européenne, j’ai eu l’occasion de voir assez près comment ces négociations pouvaient se dérouler et les tensions qu’elles engendraient, déjà, à l’époque. C’était il y a 20 ans ! Et ce n’est que cette année que la réforme de la Politique commune de la pêche est entrée dans ce qui devrait être la phase ultime de sa discussion.

En effet le Parlement européen s’est prononcé sur l’essentiel des propositions de la Commission, qui fait donc désormais l’objet de discussions avec la Commission et le Conseil des Ministres : je pense au règlement qui constitue l’armature de la réforme et au texte visant à réorganiser le marché commun de la pêche.

Les nouvelles dispositions concernant le Fonds européen pour la pêche et son financement seront, quant à elles, étudiées ultérieurement.

La position des écologistes sur ce dossier est connue de tous et s’explique par un chiffre, que nous nous accordons tous à trouver alarmant : en Europe, 88 % des stocks de poisson sont surexploités.

Autrement dit, c’est bien à un pillage des océans que nous assistons !

L’ancienne Politique commune de la pêche a échoué. Elle n’a pas permis de gérer correctement les ressources halieutiques, ce qui met en péril la biodiversité marine et la bonne alimentation mondiale mais aussi les pêcheurs eux-mêmes.

Tout un secteur est aujourd’hui en déclin en raison de la baisse des emplois et des rémunérations.

Toutes ces dimensions sont liées, et nous invitent à changer radicalement de cap.

Les règles doivent donc évoluer.

Elles sont naturellement à déterminer avec tous les pêcheurs – les gros comme les plus petits - pour aller dans le sens d’une gestion durable de la ressource.

Cela suppose plusieurs changements structurels qui ne vont pas de soi.

- D’abord, en ce qui concerne les critères d’accès au droit de pêche. Ils doivent se fonder sur une économie de la ressource et doivent donner lieu à contrepartie : à savoir le renouvellement assuré des stocks.

- Ensuite, nous devons mettre en place des plans de gestion à long terme, basés sur une approche écosystémique ; ce qui implique évidemment la collecte de données scientifiques pour établir les bases d’une gestion durable. C’est à une pêche de qualité, et donc à une petite pêche, à la pêche artisanale que doit désormais être donnée la priorité.

Les capacités de flotte doivent être proportionnées par rapport aux ressources disponibles, et les flotilles adaptées techniquement à ces nouvelles contraintes.

- Enfin, nous devons réfléchir à la mise en place d’une gestion décentralisée et régionalisée de cette politique et de ses moyens, tout en renforçant les mesures de lutte contre la pêche illégale.

Je veux à ce stade rappeler les points centraux défendus par les écologistes.

Notre principal point d’achoppement avec les propositions initiales de la Commission européenne était celui des Concessions de Pêche Transférables (CTP) que la Commission souhaitait imposer.

Il s’agissait de pouvoir échanger des droits de pêche sur le marché, dans une logique proche de celle du marché du carbone dont on voit hélas, aujourd’hui, les limites.

Ce système aurait été nuisible à l’exploitation durable des ressources halieutiques, en conduisant à concentrer les droits de pêche au profit de quelques-uns, au détriment de la pêche artisanale. 

Nous nous félicitons donc que le Parlement européen l’ait rejeté, en renvoyant aux Etats le soin d’attribuer individuellement et comme chacun d’eux le souhaite les droits de pêche.

J’espère, Monsieur le Ministre, que la France veille à ce que cette décision ne soit pas remise en cause lors des ultimes négociations !

Je rappelle d’ailleurs que le Sénat, anticipant sur la réforme, a adopté dès le 16 juillet 2010 une résolution critiquant les positions prises par la Commission dans le Livre vert de 2009, en particulier sur ce point précis.

 

Un autre point d’achoppement existe pour les écologistes, mais cette fois-ci avec les propositions formulées par les Etats.

 

Je pense naturellement au sujet de l’interdiction des rejets en mer, qui est un point central de la réforme initiée par la Commission européenne et que le Parlement européen a soutenu et même renforcé.

 

Ceci reviendrait à interdire purement et simplement les rejets, obligeant les navires de pêche à ramener à terre toutes les quantités pêchées, les poissons rejetés à l’eau faute de correspondre aux critères de taille, d’espèces... ne survivant de toute façon pas de manière générale.

 

Plusieurs gouvernements s’y montrent opposés, et c’est d’ailleurs un désaccord que nous avons, parlementaires écologistes français et européens, avec la position du gouvernement français.

 

A dire vrai, nous souhaiterions même aller plus loin en couplant cette interdiction des rejets en mer avec l’obligation que tous les poissons débarqués soient déduits des quotas. C’est dire que nous avons de quoi discuter entre nous !

Nous sommes conscients que cette approche suppose que les pêcheurs soient incités à ne pas pêcher les espèces marines indésirables et protégées - en utilisant par exemple des engins plus sélectifs - mais aussi l’adoption de mesures pour éviter la création d'un marché parallèle pour les prises accessoires et la pêche illégale.

 

Ce qui renvoie à la nécessité de moyens conséquents, d’aides à la modernisation des flottilles, et même à des dispositifs de recherche et de développement renforcés. Dans la conjoncture actuelle, c’est évidemment l’un des argumentsavancés pour repousser cette proposition essentielle.

 

Ce manque de moyens n’est pourtant pas nouveau, il ne doit rien à la conjoncture. Le Fonds européen pour la pêche n’était ainsi doté que de 4,3 milliards d'euros pour la période 2007-2013 ; une somme qui n’est certes pas anodine mais qui compte tenu des enjeux paraît bien insuffisante.

Si nous voulons aider les pêcheurs et protéger la ressource, nous devons donc consentir à le renforcer dans le nouveau cadre financier pluriannuel, en insistant sur ces dimensions de modernisation, de réduction et de capacité sélective des flottes européennes.

 

A ce titre il serait bon, Monsieur le Ministre, que vous nous éclairiez sur l’avancée des discussions budgétaires en cours entre le Conseil et le Parlement européen, et sur les montants envisagés à ce stade pour financer la prochaine politique commune de la pêche.

 

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, chers collègues,

J’évoquais en introduction un serpent de mer que nous avons bien du mal à attraper, je terminerai par lui.

 

Une politique adaptée aux enjeux que je viens d’évoquer appartient à une espèce précieuse. Nous ne pouvons partir à sa recherche sans outil adapté, sauf à manquer notre cible, à constater qu’elle ne fait pas la maille, à devoir y renoncer alors que les enjeux sont considérables.

 

Faisons en sorte que l’Europe, ses pêcheurs et ses citoyens ne reviennent pas bredouille d’une quête qui n’a que trop duré.

 

Je vous remercie