Conventions fiscales internationales : » L’Union européenne s’est trop souvent montrée passive et s’est trop longtemps soustraite au rôle qui devrait être le sien. »
Débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales
André Gattolin
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'entamer mon propos, je voudrais tout d'abord remercier le groupe CRC, en particulier M. Bocquet, d'avoir demandé l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée de ce débat sur l'efficacité des conventions fiscales internationales.
Il s'agit là d'un sujet qui prend un relief tout particulier au regard de l'actualité, et il est plus que temps pour les pouvoirs publics et la représentation nationale de s'en préoccuper sérieusement.
Les notions que ce débat mobilise sont en effet structurantes dans notre vision du monde et le fonctionnement de nos États. Les enjeux de fond qui s'y rattachent concernent la solidarité au niveau des nations et entre les nations elles-mêmes, la bonne gouvernance, l'équité internationale et la juste imposition. Pas moins ! Or leur méconnaissance a malheureusement occupé, dans un passé récent, une place prépondérante dans la marche du monde ou plutôt, devrais-je dire, dans ses titubations.
Nous devons donc nous en emparer sans tarder, comme, d'ailleurs, le Président de la République et le Gouvernement semblent aujourd'hui déterminés à le faire.
Je ne reviendrai pas sur la définition de ces conventions fiscales ou sur les politiques qui ont été mises en place jusqu'à aujourd'hui à leur égard. Les orateurs précédents s'y sont déjà brillamment attachés. Mon propos visera simplement à replacer cette question dans un cadre un peu plus large.
Il est communément admis aujourd'hui que le système de conventions fiscales que nous connaissons a quelque chose de singulièrement absurde lorsqu'il s'agit de lutter contre la fraude fiscale et d'assurer un fonctionnement harmonieux et équilibré de l'économie et de la société. Les grandes entreprises et les particuliers les plus aisés profitent à merveille de la division des tâches opérée par les places financières pour répartir au mieux leurs actifs, leurs passifs, leurs activités réelles et leurs implantations fictives. Mieux, ils le font le plus souvent en respectant la légalité !
Tant que nous réfléchirons comme nous l'avons fait jusqu'à présent, cela ne changera pas.
Dans cette affaire, l'Union européenne s'est trop souvent montrée passive et s'est trop longtemps soustraite au rôle qui devrait être le sien. Quelques-uns de ses États membres pratiquent en effet un dumping fiscal acharné ; certains de ses territoires sont des paradis fiscaux à part entière, de même que plusieurs de ses partenaires commerciaux. L'île de Jersey, la Suisse, l'Autriche, la City de Londres, le Luxembourg ou Chypre : nombreuses sont les places financières qui entretiennent ou entretenaient encore récemment, pour les unes, l'opacité, pour les autres, la dérégulation du secteur financier.
Du fait de la règle de l'unanimité qui prévaut en matière fiscale, l'Union européenne n'a toujours pas su se doter de règles harmonisées en la matière.
Quand elle avance, comme pour le texte sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés, ou encore sur la TVA appliquée aux produits vendus sur internet, elle le fait à pas extrêmement ralentis et parfois de manière anachronique.
Faut-il rappeler ici, en présence de M. Marini, les effets de ces disparités sur les librairies et autres disquaires, quand ils se trouvent concurrencés par des entreprises opérant via Internet et répartissant leurs filiales de manière à échapper, y compris légalement, à l'impôt ?
M. Philippe Marini. Certes !
M. André Gattolin. Des soucis du même ordre se font jour quand il s'agit de conclure des accords de commerce bilatéraux avec le Canada, les États-Unis ou le Japon, qui auront pour effet d'abaisser encore un peu plus les droits de douane. Ceux-ci étant déjà quasi inexistants entre nos pays et ces partenaires-là – ils sont en moyenne de 4 % entre les États-Unis et l'Union européenne –, a-t-on besoin d'affaiblir encore les finances de l'Union européenne, en particulier ses ressources propres, alors que nul n'ignore que la puissance publique manque cruellement de moyens ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Europe a trop longtemps manqué d'ambition et de cohérence en ces domaines. D'ailleurs, des pays comme le Luxembourg ou l'Autriche ont sans doute davantage évolué sous les coups de boutoir des États-Unis que par solidarité avec leurs partenaires !
Pis, la France elle-même a traîné les pieds et s'est montrée très en retard dans la réflexion autour de la lutte contre les paradis fiscaux ou au sujet des nouvelles formes de fiscalité. Nos difficultés actuelles à parler d'une fiscalité du numérique digne de ce nom en témoignent.
M. Philippe Marini. Absolument !
M. André Gattolin. Les écologistes se félicitent donc des annonces récentes du Président de la République, qui visent notamment à établir un échange automatique des informations bancaires ou la mise en place d'une comptabilité détaillée et circonstanciée, pays par pays, non seulement pour les banques mais aussi pour les autres grandes entreprises.
Nous avons d'ailleurs nous-mêmes proposé de telles mesures dans nos amendements sur la loi bancaire, mais ils ont été, dans un premier temps, en partie repoussés, tant la pression de certains établissements financiers, qui disaient craindre pour leur compétitivité, a été forte.
Publication de la nature et de l'activité des filiales et de leurs effectifs, des chiffres d'affaires et de leurs bénéfices, des impôts qu'elles paient et des subventions qu'elles reçoivent partout dans le monde : ces dispositions sont les seules à même de déceler et de lutter contre les abus, les incohérences et les dérives dues à l'excès de globalisation et de financiarisation de l'économie.
Surtout, elles rencontrent aujourd'hui un soutien croissant. L'OCDE, qui y a longtemps été hostile, semble, en ce moment même, opérer sa conversion. Le G20 a, le week-end dernier, encouragé les États à faire de l'échange automatique d'informations le standard international.
Notre ministre de l'économie, qui participait à ce sommet, a récemment réclamé, avec plusieurs de ses collègues européens, que la législation de l'Union évolue pour se rapprocher des nouvelles politiques américaines en la matière.
C'est dire que le contexte semble aujourd'hui porteur, encourageant, et que nous avons là une possibilité d'agir comme jamais nous n'en avons eu jusqu'à présent. Je conclurai donc logiquement en mettant l'accent sur l'importance de ne pas gâcher cette occasion.
Monsieur le ministre, vous avez, sur ce sujet, le soutien entier et résolu des écologistes, impliqués depuis de nombreuses années dans ces questions, pour aller aussi loin que possible. Nous savons que le Gouvernement est ambitieux en la matière. Nous savons aussi que bien des promesses ont été faites dans le passé, mais que fort peu d'entre elles se sont concrétisées.
Nous espérons que la France se fera aussi bruyante qu'incontournable au sein des institutions européennes et multilatérales pour faire avancer ses préconisations. Nous espérons aussi que les moyens législatifs que vous nous soumettrez, les sanctions que vous envisagerez pour les contrevenants, les propositions que vous ferez pour révolutionner la fiscalité française, européenne et internationale seront à la hauteur des enjeux.